Comme tous les êtres vivants, le virus SARS-CoV-2 évolue. Au cours de chaque infection sont produits des milliards de nouvelles particules virales. Parmi ces nouveaux virus, certains sont porteurs de mutations.
Ce processus d’évolution et cette génération de mutants ont été étudiés en détail. On sait aujourd’hui que dans la majorité des cas, ces virus SARS-CoV-2 mutants sont soit non transmis à de nouveaux hôtes, soit « neutres », c’est-à-dire que les infections qu’ils causent sont semblables à celles causées par les virus non mutants (aussi appelé « sauvages » ou « historiques »).
Mais parfois certains de ces mutants se propagent et prennent le pas sur les virus existants. Les exemples les plus récents ont pour noms variants Alpha, Bêta, Gamma, et maintenant Delta. Ils ont émergé pour la première fois respectivement au Royaume-Uni, en Afrique du Sud, au Brésil ou en Inde. Pourquoi ? Que sait-on de leurs propriétés ? Que sait-on de leurs capacités à échapper à la vaccination ?
Qu’est-ce qu’un variant ?
Les variants qui font parler d’eux depuis plusieurs mois diffèrent sur le plan clinique et/ou épidémiologique de la majorité des mutants du coronavirus SARS-CoV-2. Concrètement, un variant se distingue par au moins une des quatre propriétés suivantes :
- Sa contagiosité, autrement dit sa capacité à infecter plus d’hôtes ;
- Sa virulence, qui se traduit par la sévérité des symptômes développés par les personnes infectées ;
- Son échappement immunitaire, qui fait que les personnes déjà immunisées sont moins bien protégées (avec, dans le cas du SARS-CoV-2, une protection pour le moment plus robuste de l’immunité vaccinale que de l’immunité naturelle) ;
- Sa résistance aux traitements.
Dans le cas de la Covid-19, ce dernier point est pour le moment peu problématique, car il existe peu de traitements disponibles. Qui plus est, ces traitements portent sur les phases sévères de l’infection, durant lesquelles la transmission est limitée.
Un premier variant identifié dès le printemps 2020
Le tout premier exemple de variant de SARS-CoV-2, même s’il est rarement présenté comme tel, a émergé dès le printemps 2020. Des virus porteurs de la mutation ponctuelle D614G, affectant le gène produisant la protéine de spicule (S) (qui sert de « clé » au virus pour pénétrer dans les cellules qu’il infecte) ont émergé et se sont propagés. Le processus sous-jacent a été délicat à mettre en évidence, car la forme mutée (porteuse de la mutation G614) a une plus faible affinité pour le récepteur ACE2 que la forme sauvage (autrement dit, elle s’y lie moins facilement), mais ladite forme mutée semble en revanche être dégradée moins rapidement, ce qui au final augmente l’infectivité virale.
Ce qui est notable, c’est que cet événement de mutation « par substitution » (remplacement d’un acide aminé – les « briques » constituant les protéines – de la protéine S par un autre) s’est produit indépendamment dans plusieurs lignées. C’est un exemple typique d’évolution parallèle. Le coronavirus SARS-CoV-2 provient des chauves-souris. Son passage à un nouvel hôte est important, car, du point de vue du virus, il nécessite de s’adapter à des environnements cellulaires différents.
Le phénomène de sélection naturelle intervient ici : des travaux menés au début du XXe siècle ont révélé que plus une population est loin de son optimum évolutif, plus le gradient de sélection est élevé, et donc plus il est possible que l’on observe des mutations conférant une forte adaptation. À l’inverse, plus la population est proche d’un optimum évolutif plus ces mutations à grand effet sont rares. Autrement dit, observer une forte évolution parallèle en début d’épidémie alors que le coronavirus se retrouvait dans une nouvelle espèce d’hôte n’est pas si surprenant.
Trois variants préoccupants et six variants d’intérêt
Au-delà de ce premier exemple, c’est surtout fin 2020 qu’ont été détectés trois variants préoccupants, appelés aujourd’hui alpha (identifié au Royaume-Uni), bêta (en Afrique du Sud) et gamma (au Brésil). Tous ont été associés à des vagues épidémiques majeures. La surprise a été de constater que ces virus portaient plus de mutations dans leur génome que la moyenne.
En France, on a estimé que le variant alpha était environ 40 % plus contagieux que les lignées qui circulaient auparavant. Des données britanniques portant sur des dizaines de milliers de patients indiquent aussi ce que variant aurait une virulence 50 % plus élevée.
Du côté des variants gamma et a fortiori bêta, des données immunologiques indiquent qu’ils sont moins sensibles à l’immunité induite par une infection naturelle, ce qui expliquerait leur croissance en France en avril 2021.
En plus de ces trois variants préoccupants, il existe au moins 6 variants d’intérêt recensés par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Ils sont sous surveillance, car leurs génomes contiennent des mutations retrouvées chez certains variants préoccupants et parce qu’ils sont associés à des épisodes de propagation rapide.
Évaluer la dangerosité des variants n’est pas une mince affaire
Il est extrêmement difficile de juger de la dangerosité d’un variant uniquement via la séquence de son génome de son génome. Par exemple, les variants alpha portant une mutation supplémentaire (E484K) ont initialement suscité une certaine inquiétude. En particulier, des études de mutagenèse ont montré que des mutations en position 484 (ainsi que dans d’autres positions de la protéine S) permettaient vraisemblablement au virus d’échapper à la réponse immunitaire. Mais il a finalement été par la suite observé que cette mutation n’est pas aussi problématique que lorsqu’elle est présente dans d’autres fonds génétiques (par exemple chez les variants bêta et gamma).
Ce phénomène bien connu des généticiens s’appelle l’épistasie : même si deux mutations A et B sont bénéfiques pour le virus quand elles sont isolées, la présence des deux dans un génome peut s’avérer délétère. Plus généralement, l’expression d’un gène peut être fortement modulée par l’expression d’autres gènes, auquel cas le fait de savoir qu’il existe une mutation ponctuelle est insuffisant pour en déduire son effet biologique.
Le variant delta a fourni un second exemple illustrant la difficulté à anticiper les conséquences épidémiologiques des mutations.
Le cas du variant delta
Ce variant a initialement été détecté en Inde, où d’autres lignées virales proches étaient surveillées, car elles portaient une mutation en position E484.
Si, comme pour les autres variants, il est difficile de retracer l’origine exacte du variant delta, on soupçonne en revanche que son émergence pourrait avoir été favorisée par le rassemblement de millions de personnes dans le cadre d’un festival religieux. Rappelons en effet que, plus il y a d’infections, plus le nombre de mutants produits est élevé, et plus la probabilité qu’un mutant se propage dans la population est élevée.
Bien que les données en provenance d’Inde soient limitées, le suivi épidémiologique extrêmement détaillé et transparent du Royaume-Uni, notamment ses rapports sur les variants, nous permet d’en savoir plus sur les caractéristiques du variant delta.
Il est maintenant quasi établi que ce variant est plus transmissible. En effet, au sein des foyers de personnes infectées par le variant delta, on dénote une plus grande proportion de membres infectés. Par ailleurs, des données préliminaires provenant d’Écosse (issues des mêmes rapports) indiquent que les infections par le variant delta pourraient conduire à plus d’hospitalisations. Enfin, la question de l’échappement immunitaire reste ouverte.
Concernant l’immunité vaccinale, on ne détecte pour le moment aucun effet en matière d’hospitalisations (la protection reste de l’ordre de 95 %) et l’effet est limité quand on regarde la réinfection (moins 10 % de protection à deux doses par rapport à une infection par le variant alpha). L’immunité naturelle est quant à elle de plus en plus difficile à quantifier, la couverture vaccinale progressant.
En résumé, le variant delta semble donc plus contagieux que les autres variants connus, mais sa propension à échapper à l’immunité semble moindre que celle des variants bêta et gamma. Ce cas illustre le rôle majeur de l’épistasie et les limites du suivi des mutations une à une.
Variant delta en France : une détection compliquée
En France, la détection fine du variant delta a été difficile, comme elle l’avait déjà été pour le variant alpha, car seul un faible nombre des échantillons répondant positif à un test de détection Covid-19 sont séquencés. En revanche, le criblage de mutations particulières parmi la quasi-totalité des tests positifs a permis de compenser ce manque de précision et d’obtenir des résultats rapidement.
Les analyses des tests de criblages réalisées jusqu’au 8 juin indiquaient que ce variant représentait déjà près de 10 % des cas en Île-de-France à la mi-juin, et qu’il semblait avoir un avantage de transmission assez prononcé par rapport aux autres virus circulants.
** non relu par les pairs **
Un modèle multinomial suggère que δ croîtrait en @iledefrance.
Un modèle logistique estime un avantage de transmission (par rapport à toutes les autres souches) entre 67 et 120 %.
On serait alors déjà à plus de 10 % des cas causés par δ. pic.twitter.com/grCgfkjrs4
— ETE Fr (@ete_fr) June 20, 2021
Les analyses plus fines réalisées avec des données courant jusqu’au 21 juin ont montré que le variant delta avait en France un avantage de transmission de l’ordre de 70 % sur le variant alpha dans plusieurs régions.
La bonne nouvelle est que la vaccination protège bien contre l’infection par le variant alpha (selon les données britanniques, diminution de 30 % du risque avec une dose et de 80 % avec deux doses) et protège extrêmement bien contre les formes sévères (diminution du risque de 80 % avec une dose et de 95 % avec deux doses). Ceci explique que la propagation de ce variant s’observe majoritairement au sein des populations plus jeunes, moins vaccinées.
Quelles mesures prendre ?
Aujourd’hui, nous avons toutes les cartes en main pour éviter que les services hospitaliers soient de nouveau sous tension dans un avenir proche. La vaccination est cruciale, car elle protège extrêmement efficacement contre les formes sévères. Mais elle ne peut suffire, pour plusieurs raisons.
D’une part, car pour relâcher entièrement les mesures de protection et revenir à des mesures sanitaires d’avant 2020 dans les centres urbains, il faudra que plus de 80 % de la population française soit vaccinée (rappelons que si 95 % des adultes sont vaccinés en France cela correspond à 75 % de la population totale). D’autre part, même si les plus vulnérables seront vraisemblablement protégés à l’automne, laisser circuler massivement ce virus chez les plus jeunes pourrait avoir un impact sanitaire difficile à estimer, compte tenu de la virulence élevée du variant alpha et des inconnues liées aux Covid longs.
Par ailleurs, bien que ce virus tue peu chez les plus jeunes, les chiffres actuels indiquent selon les sources de 1 à 6 décès pour 100.000 infections chez les 15-19 ans. Enfin, tant que le SARS-CoV-2 se propagera largement de nouveaux variants continueront à émerger et, sans surprise pour les biologistes de l’évolution, ce virus n’est pas devenu bénin. Au contraire, les variants les plus contagieux semblent aussi les plus virulents.
Il faut donc éviter de répéter les erreurs de l’été 2020, et profiter de la faible incidence (moins de 3 000 nouvelles contaminations par jour au 1ᵉʳ juillet selon nos estimations) pour enfin débloquer des moyens permettant de réellement mettre en place une politique de tester, tracer (ou rétrotracer) et isoler sur le terrain. Il faut aussi s’appuyer sur les arguments scientifiques soutenant le rôle déterminant de la transmission par aérosol afin d’équiper d’ici la rentrée les lieux clos (notamment les structures scolaires) de dispositifs permettant de diminuer les risques de propagation (aération, ventilation, jauges réduites).
Comparativement à l’année dernière, nous en savons aujourd’hui énormément plus sur les modes de propagation du SARS-CoV-2, et nous disposons désormais d’une palette de vaccins sûrs et efficaces. Ces connaissances et ces outils doivent nous permettre d’éviter de revivre une situation aussi dégradée que celle que nous avons subie durant l’automne et l’hiver derniers.
Samuel Alizon, Directeur de Recherche au CNRS, Institut de recherche pour le développement (IRD) et Mircea T. Sofonea, Maître de conférences en épidémiologie et évolution des maladies infectieuses, laboratoire MIVEGEC, Université de Montpellier
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.